Peu de séries peuvent se vanter de déchaîner autant les passions et d'engendrer autant de débats houleux que The Legend of Zelda. Il faut dire qu'à l'âge vénérable - entendons-nous, pour une série de jeux vidéo - de 31 ans, au moment d'écrire ces lignes, la saga de Nintendo a connu presque toutes les évolutions du jeu vidéo et y a souvent contribué avec panache, sans pour autant oublier d'évoluer elle-même: les directions artistique propres à chaque épisode 3D sur console de salon en témoignent amplement. Inutile de dire qu'en transposant la série au monde ouvert, très à la mode sur cette 8ème génération de consoles, Breath of the Wild ne pouvait passer inaperçu. Une transition qui a été largement saluée lors de la sortie du jeu en mars dernier, certains allant jusqu'à dire que ce nouveau Zelda fait progresser le jeu vidéo. Raison de plus pour prendre du recul, quelques mois plus tard, et faire le bilan de ce qui fait de ce Zelda une réussite, mais aussi de ses quelques ratés.
Il faut dire aussi que Breath of the Wild met toutes les chances de son côté en rentrant dès les premières minutes dans le vif du sujet, là où ses prédécesseurs imposaient de longues introductions aux joueurs. Point d'écran titre ou de cinématique d'introduction, ni de village paisible ou de compagnon de route envahissant: Breath of the Wild commence directement dans un sanctuaire où Link se réveille d'un long sommeil après avoir entendu les échos lointains de la voix de Zelda. Dès la sortie de celui-ci, on peut librement explorer le plateau du Prélude, véritable monde miniature qui s'avère être un astucieux tutoriel pour découvrir les bases du monde et du gameplay de Breath of the Wild. On y découvre notamment les édifices sheikah (tours et sanctuaires) et leur intérêt, les rudiments des combats, ainsi que les interactions avec l'environnement avec la tablette sheikah et ses différents pouvoirs, débloqués en visitant chacun des sanctuaires du plateau. Et s'il sera indispensable de visiter les quatre sanctuaires du plateau pour débloquer la paravoile et partir explorer le vaste monde d'Hyrule, Breath of the Wild ne vous impose aucune solution ni ordre de visite et vous laisse expérimenter librement. Seul un vieil homme bienveillant, qui introduira par ailleurs les premiers éléments de l'histoire, viendra vous conseiller ponctuellement lors de votre visite du plateau.
Cette grande liberté de mouvement offerte dès les premières minutes est bien loin de se restreindre au plateau du Prélude. De fait, une fois que le joueur a quitté le plateau, Breath of the Wild ne lui impose qu'un seul objectif: vaincre Ganon. Emprisonné à titre temporaire par la magie de Zelda dans un château d'Hyrule en piteux état, et protégé par une armée de monstres et de robots gardiens corrompus, Ganon sera en effet le seul rempart séparant le joueur de la séquence de fin durant toute l'aventure. En effet, en dépit des multiples obstacles qui se dressent sur votre route, il n'y a aucun pré-requis pour atteindre Ganon. Pas même l'épée de légende! Il est d'ailleurs tout à fait possible de finir le jeu en se rendant au château dès la sortie du plateau du Prélude, pour autant que l'on agisse avec prudence. De quoi faire le bonheur des speedrunners, qui s'en sont d'ailleurs donnés à coeur joie depuis la sortie du jeu. Il y a bien sûr des quêtes scénarisées ainsi que quatre donjons dispersés aux quatre coins de la carte, dont l'intérêt (autre que scénaristique) est avant tout de gagner en puissance pour l'affrontement final, mais rien de tout cela n'est obligatoire ou ne doit s'accomplir dans un ordre précis. Breath of the Wild se contente juste de suggérer une piste à suivre en sortant du plateau du Prélude et qui mènera à terme aux différents donjons, après quoi le joueur est libre d'aller où il le souhaite. En ce sens, Breath of the Wild va beaucoup plus loin que A Link Between Worlds (sorti sur 3DS en novembre 2013), qui proposait alors seulement de choisir l'ordre dans lequel on visitait les différents donjons. Ici, la non-linéarité est totale.
Cette non-linéarité est plus que la bienvenue dans un monde ouvert, car c'est l'exploration de ce même monde, la découverte de ses 120 sanctuaires sheikah et de ses multiples secrets qui constituent une bonne partie de l'intérêt de ce Zelda. En marge du scénario et des donjons, on peut en effet s'amuser à cartographier Hyrule et découvrir la totalité des 120 sanctuaires et leurs trésors respectifs, ou encore écouter les PNJs habitant les différents lieux de vie pour réaliser des quêtes annexes. Mais on peut aussi tout simplement flâner et se promener à loisir, car le monde d'Hyrule de Breath of the Wild est entièrement visitable. Chaque sommet peut être escaladé, chaque ravin cache ses secrets, chaque silhouette un peu suspecte à l'horizon mène à quelque chose: il faudra véritablement atteindre les extrêmes limites de la carte pour voir apparaître à l'écran un agaçant "vous ne pouvez pas aller plus loin" ou pour tomber dans un gouffre brumeux synonyme de respawn. Bien sûr, tout n'est pas directement accessible: les températures extrêmes et les falaises trop hautes pour être escaladées avec l'endurance de base (quand ce n'est pas la pluie qui rendra les parois glissantes) viendront périodiquement compliquer la tâche, contraignant le joueur à soit acquérir une tenue adéquate, soit se cuisiner des remèdes spécifiques à l'aide des nombreux objets collectés en chemin ou récupérés sur des monstres. Heureusement, la plupart de ces solutions sont également accessibles dès le début avec un peu de méthode.
Ce qui rend le monde de Breath of the Wild passionnant à visiter, c'est avant tout la richesse de ses environnements. Ici, le terme "monde" dans "monde ouvert" prend tout son sens: chaque province propose une faune, une flore et/ou une topographie unique(s) et qui s'inspirent d'une grande variété d'écosystèmes existants. Prairies, forêts de feuillus, marécages, forêts tropicales, falaises côtières, steppes, déserts, canyons, sommets enneigés, sources chaudes... la liste est longue et introduit même des environnements rarement vus (voire pas vus du tout) dans un Zelda en 3D. La météo dynamique, la présence d'animaux sauvages un peu partout et les ressources à collecter en abondance procurent un véritable sentiment de vie, tandis que la présence de villages, de relais (des auberge longeant les routes, d'où on peut aussi gérer ses montures) ou de ruines ponctuent la carte comme autant de repères visuels. Et sans oublier, bien entendu, les quelques mini-bosses et campements de monstres qui viendront pimenter vos escapades. Pour tout joueur qui ait été piqué du virus de la curiosité dans sa jeunesse, le monde de Breath of the Wild est un petit paradis, au point où l'on en pardonnerait presque les transitions parfois brutales et finalement très "jeu vidéo" entre certains environnements, ainsi que des lieux juxtaposés de façon maladroite. Il peut par exemple arriver que l'on passe d'une forêt de feuillus à une forêt tropicale en quelques dizaines de mètres, tandis qu'un campement de Bokoblins se trouve quasiment à l'entrée d'un village... où un badaud vous demandera, justement, de faire le grand nettoyage dans un autre campement.
Proposer un monde intéressant est une chose, mais proposer un gameplay à la hauteur en est une autre. Puisque Breath of the Wild marque aussi l'arrivée d'un Zelda en 3D inédit sur un support haute définition, donc sur un hardware offrant plus de possibilités, les développeurs de Nintendo ont mis l'accent sur la physique et les interactions avec les objets du décor. En plus de générer des bombes (cubiques ou rondes, ces dernières pouvant dévaler les pentes), la tablette sheikah peut capturer et déplacer dans l'espace des objets métalliques, créer des blocs de glace sur toute surface aquatique ainsi que figer n'importe quel objet sur place temporairement. Cette dernière possibilité est peut-être la plus amusante: en effet, en frappant un objet figé avec une arme, celui-ci accumule de l'énergie potentielle qui est libérée dans la direction du dernier coup quand l'objet est libéré de sa paralysie. Du coup, on peut aussi bien déloger des objets lourds qu'en propulser d'autres dans les airs, de quoi ravir les physiciens fous ainsi que de donner lieu à quelques puzzles amusants au sein des sanctuaires sheikah. Toujours du côté des interactions, on peut aussi s'amuser avec le feu qui se propage dans la végétation, créant au passage des courants d'air ascendants pour s'élever avec la paravoile. Si le moteur physique n'est pas exceptionnel en soi, les interactions possibles sont à la fois simples et ludiques, si bien qu'on passera parfois de longues minutes à expérimenter avec l'environnement pour trouver le "truc" pour atteindre un lieu difficile d'accès... ou juste s'amuser. On notera au passage que Nintendo a ici opté pour des contrôles s'accomodant de tout type de joueur: si le gyroscope du GamePad ou des Joycon peuvent être utilisés pour les pouvoirs de la tablette (ainsi que la visée à l'arc), l'ensemble du jeu peut se pratiquer aux boutons et aux joysticks.
Dans l'ensemble, la réussite du monde ouvert de Breath of the Wild tient sans doute, tout simplement, au fait qu'il s'agit d'un jeu qui "pense à tout". La variété des décors et la possibilité de tout visiter et escalader sont déjà de très bons arguments en temps normal, mais ce serait oublier la quantité de détails (parfois idiots) dont regorge ce Zelda. Un soucis du détail qu'on retrouve notamment chez les activités des monstres en dehors des combats et leurs réactions à l'approche de Link, ainsi que certains dialogues amusants du côté des PNJs. Link n'est pas en reste en matière d'activités, puisque des mini-jeux des épisodes antérieurs sont carrément devenus des mécaniques de jeu à part entière. Vous vous souvenez du simili-snowboarding sur bouclier de Twilight Princess ? Vous pourrez à présent en faire partout où il y a des pentes suffisamment glissantes, à moins de vouloir préserver la durabilité de vos boucliers. Calmer Epona, toujours dans Twilight Princess ? C'est comme ça que vous pourrez amadouer des chevaux sauvages (et pas que) pour en faire des montures temporaires ou permanentes. Prises séparément, les différentes mécaniques du gameplay de Breath of the Wild ne sont ni très profondes, ni inédites, mais elles contribuent chacune à la richesse des interactions avec le monde d'Hyrule.
« La réussite du monde ouvert de Breath of the Wild tient sans doute, tout simplement, au fait qu'il s'agit d'un jeu qui "pense à tout". »
Néanmoins, la formule proposée par ce nouveau Zelda souffre de ce qu'on pourrait considérer comme des erreurs de jeunesse. En plus des quelques erreurs de cohérence déjà mentionnées précédemment, le monde de Breath of the Wild n'est pas toujours intéressant à visiter. Certes, la liberté de mouvement et la richesse des décors et des interactions feront en sorte que les premières heures (voire dizaines d'heures) seront pleines de surprises, mais à mesure que l'on progresse et cherche à déceler tous les secrets, les ficelles du level design deviennent de plus en plus grosses. En l'occurrence, beaucoup de ruines et de lieux reculés ou difficiles d'accès ne servent finalement qu'à planquer des Korogus (des fées déjà aperçues dans Wind Waker qu'il faut débusquer pour récupérer des noix, une monnaie d'échange pour agrandir votre inventaire), des mini-bosses ou encore des armes spéciales (comme des baguettes infusées avec un élément, à substituer à un wizzrobe). Heureusement, cette lassitude ne s'installe qu'après avoir visité la majeure partie de la carte, mais laisse à penser que le monde de Breath of the Wild aurait gagné à être plus condensé par endroit.
Mais le plus gros problème de Breath of the Wild, c'est qu'en ayant transformé la formule de Zelda, il a aussi aseptisé ses donjons (incluant les 120 sanctuaires sheikah). Le problème n'est pas tant le contenu de ceux-ci, car fort heureusement, leur level design comporte toujours quelques belles idées, la plus belle consistant sans aucun doute à pousser le joueur à interagir avec l'environnement autour d'un lieu suspect pour dévoiler l'entrée d'un sanctuaire secret (le plus souvent au moyen d'une prophétie cryptique, à l'ancienne). Mais d'une part, la plupart des donjons et sanctuaires sont courts voire expédiés, et d'autre part, leur identité graphique est inexistante. Le cadre visuel d'un sanctuaire est toujours le même, tandis que les similitudes visuelles d'un donjon à l'autre sont bien trop nombreuses. Alors que le monde extérieur d'Hyrule jouit d'un joyeux désordre, les donjons et sanctuaires sont paradoxalement très formatés. Ce formatage, dans le cas des donjons, ne s'arrête malheureusement pas au visuel: chaque quête menant à un des quatre donjons principaux est basée sur un même canevas scénaristique. Même constat pour les tâches à accomplir au sein des donjons eux-mêmes, puisqu'elles sont toujours identiques, bien que chacun d'entre eux offre une mécanique unique pour interagir avec le décor. Et pourtant, les idées sont là: par exemple, plusieurs sanctuaires tournent autour de la conduction de l'électricité sous toute ses formes, et laissent à penser qu'ils auraient pu former un seul et même donjon avec sa propre identité visuelle, quitte à réduire le nombre d'édifices sheikah dans la nature.
Toujours au registre des doléances, les amateurs d'action resteront sans doute sur leur faim avec cet épisode. Certes, les combats ont rarement été l'aspect le plus important de la saga, mais leur manque de profondeur trahit ici une volonté évidente des développeurs de proposer un Zelda plus corsé: en effet, même un Bokoblin de base pourra tuer Link d'une seule frappe du moment qu'il est bien équipé. A vrai dire, la plupart des mini-bosses pourront se débarrasser de vous en 2 ou 3 attaques. Breath of the Wild propose d'ailleurs des solutions à base de crafting pour améliorer la défense de ses tenues et s'octroyer quelques bonus d'attaque ou de défense. Tout cela est séduisant sur le papier, mais tombe presque à plat dans la pratique: les ennemis comme la plupart des bosses sont souvent lents et prévisibles, et il est plutôt simple d'abuser du timing souvent généreux des esquives et des parades parfaites pour créer des ouvertures énormes. Presque, car il existe malgré tout quelques adversaires qui exigeront une bonne maîtrise de ces esquives et parades (ceux qui tenteront de finir le jeu dès la sortie du plateau en sauront quelque chose), tandis que certains campements de monstres bien peuplés demanderont une approche plus fine. Le bilan de cet aspect du jeu reste néanmoins très moyen, d'autant plus que le bestiaire ne brille pas par sa variété.
Pour terminer sur une note plus positive, si Breath of the Wild a été développé initialement sur un support techniquement daté, force est de reconnaître que la réalisation demeure soignée dans son ensemble. Le principal tour de force technique réside sans aucun doute dans la distance d'affichage: qu'importe où l'on se trouve en Hyrule, il est presque toujours possible de deviner à l'horizon ses différentes provinces et ses sites les plus caractéristiques, comme la Montagne de la mort. L'absence totale de chargement en dehors des téléportations est également à saluer, de même pour quelques effets visuels réussis, en particulier le rendu des surfaces aquatiques et de l'herbe des prairies. Néanmoins, c'est surtout la direction artistique faisant la synthèse de tout ce que la série a pu faire de mieux en la matière qui rend le visuel finalement très agréable. Quant au framerate, il tient très bien la route sur Switch, bien qu'on observera de temps à autre des chutes brutales, en particulier lorsqu'un ennemi envoyé au tapis se transforme en ragdoll. Enfin, le son n'est pas en reste non plus et propose quelques choix intéressants. En l'occurrence, la visite d'Hyrule est ponctuée de mélodies d'ambiance au piano, un peu comme si après avoir expérimenté l'Impressionisme en peinture pour le visuel de Skyward Sword, la suite logique pour The Legend of Zelda était d'expérimenter son équivalent musical. Les moments les plus cruciaux de l'aventure restent néanmoins rythmés par de l'orchestral plus conventionnel (banal, diront les mauvaises langues) qui expérimente de temps à autre la musique interactive (c.-à-d. modifiée selon la progression du joueur ou de l'action) pour mieux coller à l'action.
Pour son premier véritable monde ouvert au sens moderne en 3D, Nintendo ne déçoit pas. Bien au contraire! Plutôt que de simplement greffer de vastes étendues à la formule que l'on connaissait déjà, Nintendo a adapté les codes de Zelda en 3D au monde ouvert en mettant l'accent sur la liberté de mouvement et les interactions avec le décor. Le résultat final est une belle réussite et offre un monde vivant et riche, tant dans les interactions, les détails que dans le visuel, en plus d'une aventure totalement non-linéaire. Cette mutation ambitieuse a toutefois un prix: le temps d'un épisode, Breath of the Wild sacrifie en effet l'identité graphique et la consistance des donjons qui faisaient jusqu'ici la réputation des épisodes en 3D "classiques". Peut-être pour mieux les remettre en valeur au prochain opus ? En fonction des sensibilités de chacun, on pourra également reprocher à Breath of the Wild ses affrontements un peu trop simples, ses quelques incohérences de level design ou encore le manque d'intérêt à long terme de certains pans d'Hyrule. En effet, difficile de garder la même soif d'exploration, après avoir visité la majorité d'Hyrule, quand on ne découvre plus que des Korogus ou des nouveaux emplacements pour des monstres déjà croisés ailleurs. Quoi qu'il en soit, s'il ne bouleverse pas le monde ouvert fondamentalement, la richesse et l'élégance de la formule de Breath of the Wild en font un incontournable auquel les futurs jeux du genre seront inévitablement comparés.
Conditions de test: ce jeu a été testé dans sa version Switch pour un total d'environ 180 heures et 2 parties, la deuxième étant un speedrun. Les DLCs ne sont pas pris en compte.
Aventure Monde ouvert The Legend of Zelda: Breath of the Wild
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